29/04/2012

"L' épreuve du feu" ou le flux noir parallèle au sang

Hier soir je suis allée voir la nouvelle mise en scène de Guillaume Béguin, "l'épreuve du feu " de l'auteur suédois Magnus Dahlström. Auteur totalement inconnu pour moi, je m'attendais toutefois à une expérience théâtrale éprouvante, car bien que je ne connaissais pas le texte, ce n'est par contre pas le cas du metteur en scène et de ses choix. Alors voilà, à l'issue de ces très longues 2h30 de spectacle, je peux dire ce que j'ai chuchoté à l'oreille du metteur en scène: Guillaume Béguin est pour moi un des plus talentueux metteur en scène de théâtre contemporain et de recherche local.
 Ce dernier a en effet une capacité sans limite quand il s'agit de faire travailler un texte, les mots, le sens, et cela se sent à chaque phrase prononcée par les comédiens. Il n'est pas seulement question de faire sonner les consonnes ou d'adoucir les voyelles; non...c'est avant tout des heures et des heures de travail sur la résonance des mots, une résonance de l'intime, cellulaire. Cette dernière est retransmise au spectateur par le comédien-conducteur à la personnalité floue, il est comme un fil de cuivre conduisant cette intimité. Ce travail sur le langage permet donc au metteur en scène d'interroger les textes qu'il choisi comme il ne cesse de s'interroger lui même. Il s'agit d'explorer "l'identité", "l'existence"; une recherche à travers les mots, les comédiens, ce travail; faire résonner l'essence même, cette chose comme un liquide que l'on peine à effleurer en soi. Le flux.
Dans cette pièce suédoise, le flux est sombre, noir, il coule aux côtés du sang conducteur de vie. Les personnages ont tous quelque chose en eux qu'ils vont énoncer, donner à entendre et parfois à subir. Une thérapie de groupe pour une pièce à huis clos, dans laquelle chaque personnage tour à tour va prononcer l'impensable, l'horreur quotidienne, presque vidée du potentiel d'étonnement.
On écoute donc dans des mots triviaux et banals, les récits de la violence, de la maltraitance, de la psychose; de toutes ces choses sombres et mornes qui peuvent surgir en chaque être humain, comme des pustules remplies de pue le long des vaisseaux sanguins. Ces récits sinistres n'ont rien d'étonnant au fond, à moins que la capacité d'illusion sur "l'humain" soit encore intacte chez le spectateur -et là il souffrira vraiment- c'est plutôt leur enchaînement qui est douloureux, comme un doigt dans une plaie. 
Les personnages enchaînent donc leurs récits affreux comme si un adolescent découvrant la folie humaine les avait écrits. L'auteur utilise la fascination comme moteur en la mettant en balance par des personnages dont la prise de conscience n'intervient vraiment jamais. Ils racontent, se taisent et n'en sortent pas changés; ils s'excusent les uns les autres même. Une boucle reprend alors à la fin, laissant voir que l'humain est une chose une peu cassée par sa capacité à penser. Les neurones ont parfois des ratées, depuis toujours et pour toujours. 
Ce spectacle transporte au sein même de ce flux noir, le spectateur grâce au jeu si juste des comédiens, vogue sur cette eau sombre et ne sait jamais quand il verra la rive. Assister à ce spectacle, c'est accepter d'être dérangé par sa longueur, d'être auditeur de l'horreur, d'être déplacé dans ses illusions, d'accepter de se faire peur ou de souffrir quand soudain pour une raison ou pour une autre, un des récit vient faire résonner quelque chose en nous que l'on aurait préféré ne pas ressentir. C'est aussi parfois accepter de ne plus écouter, de décrocher puis de revenir; de ne pas toujours comprendre où ils veulent en venir tous avec cet objet théâtral. C'est aussi ressortir fatigué, soulagé, bref déplacé...
On ne peut rester indifférent à ce spectacle , on ne peut trouver ça sublime non plus car rien n'est simple.
Guillaume Béguin réussi avec ses comédiens à nous faire intimement ressentir l'ambiguïté humaine, la dualité des liquides composant notre essence. Mention spéciale d'ailleurs à Piera Honeger et Matteo Zimmermann qui m'ont personnellement bluffée dans leurs performances. Les comédiens se battent avec ce liquide et le versent sur le sol sombre; un tapis noir et lumineux réfléchissant ces âmes. Comme une marée noire, le flux est pétrole, il pollue.
L'épreuve du feu se fait donc pour tous, car il suffirait d'une allumette pour tout embraser, seul la fin du spectacle nous permet d'y échapper.
Pour tous ceux qui aiment les mots, le sens, les choses cassées, les bons comédiens, le vrai travail de direction d'acteurs; il faut aller voir ce spectacle. Ne pas hésiter, ne pas avoir peur de sa durée ou de son contenu. Il faut simplement savoir faire le tri dans ce qui nous est donné, un superbe objet théâtral dont le contenu peut déranger mais dont la partition pourrait mener une symphonie.
Tant qu'il y aura des auteurs de cette trempe à découvrir, des metteurs en scène précis et précieux, des comédiens courageux et talentueux , le théâtre résistera à tout et restera un art à part entière, cette résistance est d'ailleurs une urgence.
"L'épreuve du feu" de Magnus Dahlström, mise en scène de Guillaume Béguin, Compagnie de nuit comme de jour; à la maison blanche, production Arsenic jusqu'au 6 mai.
  

09/04/2012

Des rencontres, du destin et des étoiles

Ces derniers temps je me suis fait la réflexion que rien n'arrivait jamais par hasard... Original non? Évidemment non. La véritable originalité est chose rarissime; et ce qui pourrait éventuellement être original serait de chercher à ne pas l'être. Les rencontres donc... Il y a quelques années alors que je vivais à Saint-Pétersbourg j'ai fait la connaissance d'une fille de mon âge venant de Genève. Très vite nous avons échangé nos pensées et tout ce qui nous tenait à coeur, trop vite sans doute, nous nous en étions rendu compte et elle avait eu cette réflexion amusante et censée. Notre situation d'expatriées avait accéléré cette amitié et elle qualifiait ça "d'amitié du train". Ces personnes que tu rencontres et que tu ne reverras sans doute jamais et avec lesquelles soudainement, la communication et le partage se trouvent bien plus rapides que dans nos vies quotidiennes. J'ai gardé cette expression en tête et l'utilise à présent régulièrement. Elle illustre magnifiquement bien ces rencontres que l'on fait, qui ont la fulgurance d'un feu d'artifice. Elles montent très haut, explosent, et redescendent aussi vite en laissant derrière elles quelques traînées de poudre et de fumée. 
S'investir est une chose difficile, on a tendance parfois à le faire trop rapidement et il arrive que le résultat n'en vaille pas la chandelle. D'un autre côté, rencontrer de nouvelles personnes n'est pas évident, alors parfois on force un peu le destin, on va chercher  comme on peut à provoquer ces rencontres; mais ces dernières se trouvant alors programmées ont une forme artificielle qu'il est alors quasi impossible de rendre naturelle. On dit aussi qu'il ne faut pas chercher, laisser faire les choses, sourire à la vie, envoyer du positif pour en récolter à son tour... Certes...En théorie je suis bien d'accord, en pratique c'est autre chose, car tout dépend de la capacité d'ouverture que l'on veut bien montrer. Je ne suis pas très douée pour ça, même si j'essaie de m'améliorer avec le temps. Ne pas penser, ne pas anticiper, ne pas montrer, ne rien laisser paraître... être une forme de page blanche sur laquelle l'autre en face puisse projeter, dessiner... et petit à petit être soi par petites touches de peinture, pour ne pas brusquer, pour donner les fondations à la relation. Dans ce schéma, je classe au même niveau les amitiés et les amours car en dehors du rapport charnel, l'apprentissage ou l'apprivoisement est le même. 
Rien n'arrive par hasard donc? Non car de toutes ces rencontres, on garde quelque chose, consciemment ou non. Et les provoquer ne sert à rien car on en retire alors plutôt une amertume étrange, comme quelque chose d'irréel qui démange. Avons-nous la possibilité d'influencer notre destin ? Le destin existe-t-il seulement? Il est rassurant de penser que oui, cela permet d'avancer avec la certitude que la vie est juste quoiqu'elle amène. Je n'aime pas trop les certitudes, surtout quand j'estime subjectivement qu'elles sont mal placées. Elles vont à l'encontre de ce que la vie serait censée nous apprendre. De certitudes à "valeurs" il n'y a qu'un pas, que je n'aime pas franchir. Bon il est vrai que j'aime un peu trop décortiquer les choses qui peuvent paraître normales, de même que ces fameuses certitudes chez les autres qui me paraissent toujours un peu douteuses. Et même si je pense souvent avoir tord, j'aime qu'en face l'autre fasse de même, cela permet la discussion. Sinon tout cela est vain, la compréhension impossible, le compromis intolérable et alors cette relation ne sert à rien. Qu'avons nous à gagner à ne pas nous remettre en question? à être des insectes bornés cherchant la sortie à l'aveuglette? Pas grand chose à part ne jamais faire évoluer nos visions de la vie. On dit souvent aussi que l'humain n'apprend rien de son histoire, que l'on répète les mêmes schémas et erreurs et dans une certaine auto-complaisance qui plus est. C'est malheureusement assez vrai. Sommes nous perfectibles? De nouveau je commence à douter. Mais peut-être en commençant par nos propres histoires, pourrait-on peut-être faire évoluer notre cause, nous-même. Car chacun vit pour soi et décide à un moment de partager son chemin avec d'autres. Ces personnes à qui l'on donne notre confiance pour lesquelles on investit la relation sont les personnes que l'on désire garder auprès de nous. Et pour cela, on ne peut rien provoquer, on peut juste parfois avoir à gérer la déception. Mais cette dernière n'est pas obligatoire, la loyauté existe, le lien fort perdure et ne peut être ébranlé par des doutes soudains et inutiles. Ce sont ces relations qui nous apprennent vraiment quelque chose, celles qui restent, les autres ne sont que ces fameuses traînées de fumée après le bouquet final. 
Je me rends compte à présent que je n'ai jamais vraiment aimé les feux d'artifices, ils sont de la satisfaction immédiate comme une jeunesse de l'amusement. Les étoiles dont la lumière nous parvient avec des années de retard sont bien plus intéressantes. Elles nous renvoient à notre rien et permettent une auto-réflexion précieuse. Dans nos vies trépidantes, on ne les regarde plus, on ne les voit plus, elles sont étouffées par nos constructions et nos certitudes rassurantes. J'aime d'ailleurs à penser que quand on a achevé notre course du destin, c'est vers elles que l'on retournent comme vers une matrice absolue. 
Non rien n'arrive par hasard, et forcer le destin ne sert à rien. Mais ne pas se contenter de certitudes est une chose primordiale et ne pas se décharger sur les autres des conséquences de ses actes en est une autre. Les rencontres sont faites pour nous apprendre qu'une forme de destin existe dans laquelle la liberté n'est au final pas si grande. La liberté est un concept que l'on a inventé pour échapper à cette course qui nous ramènera toujours à l'infiniment petit de nos existences au regard de l'infiniment grande matrice que sont les étoiles dont nous sommes peut-être issus.